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La désignation d’un expert en référé ou sur requête entraîne-t-elle des particularités et lesquelles ?

Cet article rappelle d’abord les différents domaines d’activité où le risque de dépérissement des preuves nécessite qu’une expertise soit exécutée immédiatement, puis il en expose les conséquences. Les domaines concernés sont relativement limités (construction, environnement, agro-alimentaire, incendie, explosion, informatique, art, transports) ; des exemples sont donnés pour chacun d’entre eux. Les conséquences de ces expertises exposées à leur tour sont la difficulté à faire respecter le contradictoire et des risques financiers pour (expert (difficultés de recouvrement de ses honoraires ou de frais de labo. non consignés).

La revue Experts n° 40 – 09/1998 © Revue Experts

par F. Fassio (Montpellier), A. Génin (Versailles), J.R. Lemaire (Versailles), R. Mazabraud (Limoges),
B. Peckels (Versailles), G. Perrault (Versailles), J. Rousseau (Poitiers), M. Venet (Versailles)

 

Les missions d’instruction confiées aux experts (constatations, consultations et expertises) sont soumises à des règles strictes visées par les articles 232 et suivants du nouveau Code de procédure civile. Outre le sacro-saint principe du contradictoire nous n’en citerons que quelques unes telles que l’obligation d’attendre la consignation pour se mettre en œuvre, d’exécuter personnellement sa mission, d’en respecter intégralement les délais ou de présenter un mémoire d’évaluation des frais et honoraires après le dépôt du rapport etc… Que la mission ait été prescrite lors d’un jugement au fond ou à l’occasion d’un référé, les règles de procédure que nous devons respecter sont toutes semblables et l’on pourrait même dire à leur propos que l’expert n’a guère besoin de savoir si il a été désigné en référé ou lors d’un jugement, cela ne modifiant rien au déroulement de ses opérations.

Ceci étant il est néanmoins certains domaines d’activité où, soit le risque de dépérissement des preuves, soit l’obligation d’une décision qui ne peut attendre, nécessite que les missions confiées en référé à l’expert soient accomplies immédiatement. Cela entraîne au moins deux conséquences que l’on peut qualifier de spécifiques, d’une part la nécessité d’une intervention immédiate de l’expert et d’autre part sa mise en œuvre sans attendre le versement d’une consignation.

• Les domaines concernés par le dépérissement des preuves sont limités. Sans être exhaustif on peut dire qu’il s’agit le plus souvent, de la construction, de l’environnement, de l’agro-alimentaire, de la pollution, de l’incendie, des transports, voire même de l’informatique ou des activités artistiques, alors que d’en d’autres secteurs comme ceux de la santé ou du chiffre la notion “d’urgence” est beaucoup plus exceptionnelle. Quelques exemples devraient permettre d’illustrer nos propos.

  • En matière de construction et d’environnement, l’intervention immédiate de l’expert a pu être sollicitée, lors de l’effondrement d’une partie d’un immeuble ou d’une grotte sous un ensemble de maisons d’habitation ou sous une falaise avec à chaque fois des risques d’accidents mortels, ou encore par suite de la pollution d’un réseau de fossés et de ruisseaux en zone agricole et viticole à la suite de l’irruption brutale de produits toxiques rejetés par une usine risquant de compromettre des récoltes toutes proches.

Restant dans le domaine de la construction, il y a lieu de citer un cas un peu particulier visé par le Code de la construction et de l’habitation (art. L511 1A-L511.4 et R.511.1) qui fixe les conditions et le mode d’intervention du maire d’une commune lequel par ses fonctions, est chargé de la police des bâtiments menaçant ruines. En cas de péril constaté d’un édifice constituant une menace pour la sécurité publique, le maire dispose de deux procédures, l’une dite de péril ordinaire (articles L 511-1 et 2 et R 511-1), l’autre caractérisée de péril imminent (article L 511-3). Dans ce dernier cas, c’est-à-dire si la menace que fait peser l’édifice sur la sécurité du public est non seulement grave mais aussi imminente, le maire demande au juge de nommer “un homme de l’art”, pris en général sur liste d’experts inscrits près d’une Cour d’appel, lequel est alors “chargé d’examiner les bâtiments dans les 24 heures qui suivent sa nomination”. Cet expert devra, immédiatement après ses investigations, déterminer s’il y a “urgence ou péril grave et imminent” et proposer les mesures provisoires pour faire cesser l’imminence du péril ; c’est ainsi qu’il pourra demander, par exemple, la coupure des réseaux d’alimentation d’eau, de gaz et d’électricité, un étaiement de mur ou de plancher, l’enlèvement ou la démolition non de l’immeuble mais de certaines parties telles que cheminées, balcons… L’urgence, dans le cadre de l’article L 511-3, se situe donc à deux niveaux, celui relatif à l’intervention pratiquement immédiate de l’expert et celui que cet homme de l’art de l’art déterminera du fait de l’état de l’édifice et de la nécessité de mesures provisoires. Cette expertise, codifiée de façon très précise, est certainement celle qui requiert de la part du technicien désigné une totale disponibilité permettant une intervention impérative dans les 24 heures.

  • Dans le domaine agro-alimentaire, la notion d’urgence est particulièrement cruciale quand le sinistre en cause concerne un bien vivant dont les dégradations devant être constatées sont susceptibles de se modifier voire même de disparaître très rapidement. Ainsi a-t-il pu être fait appel à un expert après un traitement phytotoxique sur un végétal, lors d’un constat de reprise d’une plantation ou à l’occasion de la destruction d’une culture par un parasite. Dans ce dernier cas, l’urgence était d’autant plus grande qu’il s’agissait de cultures intensives sous serres où la contamination est extrêmement rapide.

  • En matière d’incendie et d’explosion, l’intérêt est bien évidemment de déterminer au plus vite l’origine et les causes du sinistre afin de conserver au mieux l’essentiel des indices nécessaires à la découverte de la vérité (installations électriques, canalisations de gaz, traces suspectes…) ; cela permet également de constater sans retard les dommages causés aux constructions et équipements par la chaleur les flammes, l’eau d’extinction, les effondrements et bris divers nécessairement causés par les pompiers et de prendre les mesures conservatoires nécessaires pour préserver les preuves.

  • Dans les litiges informatiques de plus en plus fréquents, une intervention en urgence a pu être demandée surtout dans les deux cas suivants : en premier lieu lorsqu’un système informatique est bloqué (plantage) et qu’il faut faire en urgence pendant le blocage, les constatations qui s’imposent avant de redémarrer le système car cette manœuvre suffit souvent à le remettre en bon état de fonctionnement et en second lieu, lorsqu’il faut faire une sauvegarde en l’état du contenu des disques d’un système informatique pour conserver les éléments probants utiles ensuite pendant les opérations d’expertise.

  • En matière d’art les interventions “urgentes” les plus couramment constatées sont : les saisies pour contrefaçon par les ayant-droits d’une œuvre passant en vente chez un antiquaire ou chez un commissaire priseur, et le constat de toutes ventes illégales : déballage sans autorisation préfectorale organisé par des particuliers, arrêt de la vente d’objets dérobés sur un marché aux puces occasionnel et plus globalement constatation immédiate de la qualité d’un objet qui est présenté à la vente en vue de saisir l’objet pour une action en justice au fond.

  • Dans le domaine des transports, enfin, on peut recourir au référé. Plus que d’être confronté au risque de dépérissement des preuves, il peut s’agir de celui couru par l’utilisateur d’un engin à moteur. Ainsi, un expert en aéronautique a-t-il pu être désigné pour examiner un avion de tourisme récemment vendu à un particulier dont le moteur révéla une usure anormale dès la première visite périodique obligatoire ; il est évident que des mesures urgentes s’imposaient !

• Les particularités induites dans les circonstances, d’ailleurs assez rares, où une décision immédiate est nécessaire sont de deux ordres.

  • C’est en premier lieu l’obligation pour l’expert de se mettre en œuvre immédiatement ou dans les heures qui suivent sa désignation. Le problème n’est alors pas tant de se rendre sur les lieux toutes affaires cessantes ou presque ce qui va de soi lorsque l’expert a accepté la mission, mais de faire respecter au mieux le contradictoire. Les moyens classiques de convocation par lettre recommandée avec accusé de réception ne permettant pas de respecter le délai très court qui est imparti, il y a lieu d’utiliser alors les seules moyens de communication possibles en de telles circonstances, c’est-à-dire le téléphone ou le fax sans omettre pour autant aucune partie et aucun conseil.

  • La deuxième conséquence de l’urgence est la mise en route des opérations d’expertise avant toute consignation ou, dans les cas les plus favorables, avant son enregistrement à la régie d’avances et de recettes. Cette situation entraîne deux risques pour l’expert : le premier est celui d’une non consignation et des difficultés de recouvrement de l’ordonnance de taxe rendue ensuite par le juge ; le second, qui peut être plus lourd de conséquences, est la nécessité pour l’expert de recourir parfois en urgence aux soins d’un laboratoire et de devoir alors faire l’avance des frais exposés avec là encore les mêmes risques de non recouvrement que précédemment.

Il faut enfin envisager rapidement la désignation de l’expert dans le cadre de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile c’est-à-dire avant tout procès et plus spécialement lorsque celle-ci intervient sur requête. Il s’agit là d’une procédure tout à fait exceptionnelle qui ne peut être retenue que dans le cas où les mesures qu’il y aurait lieu de prendre deviendraient inopérantes si celui qui en fait l’objet en était préalablement informé. Il est alors évident que le contradictoire ne peut être respecté.

Pour conclure nous pouvons dire que si pour l’expert le référé d’heure à heure est une contrainte, souvent source de complications, cette procédure est par contre d’une utilité technique indiscutable pour la recherche de la vérité.

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