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L’expertise des objets d’art, secret ou divulgation

L’expert entre tiraillement et impuissance

L’expertise d’objets d’art relève souvent de biens personnels: héritage, assurance, fortunes diverses. Elle demeure ainsi confidentielle si elle est privée. Au civil, c’est le secret de la procédure qui lie l’expert judiciaire, comme au pénal, où sa position est encore plus contraignante. Décrivant ces divers contextes, Gilles Perrault constate une position délicate, marquée de contradictions ou d’impuissance imposée par le secret. 

Article de la Revue Experts n°112, février 2014 © Revue Expert

 

En préambule il convient de souligner que l’expertise d’objets d’art, même à titre privé, c’est-à-dire  à la demande d’un propriétaire en dehors de tous conflits, est confidentielle. La discrétion est en effet nécessaire dans cette activité qui relève souvent de biens personnels, d’héritage, d’assurance et de fortunes diverses… La règle déontologique prônée par tous les syndicats professionnels préconise à l’expert le plus grand silence sur la divulgation de son expertise, même si cette dernière est destinée à être présentée à un assureur, au fisc, ou à des héritiers…

 

1. Le secret dans l’expertise à titre privé

L’expertise à titre privé des objets d’art reste destinée uniquement à l’usage du commanditaire, ou du destinataire choisi par ce dernier, sous la forme d’un contrat délimitant la mission et souvent son coût.

Rappelons que l’expertise des objets d’art ne relevant pas d’une profession réglementée, l’expert n’est pas tenu au secret professionnel au sens strict du terme, mais à une confidentialité contractuelle.

L’expert divulguant sans l’autorisation de son client le résultat de son expertise risque d’être inquiété devant les tribunaux au motif qu’il n’aurait pas respecté la clause de confidentialité.

En effet, en l’absence d’un consentement écrit, l’expert ne dévoile le résultat de son expertise qu’à son client. Même s’il s’aperçoit que l’œuvre expertisée est une contrefaçon récente, il n’a aucun devoir de communication au procureur de la République, à l’artiste ou à ses ayants droit. Il ne peut donc être tenu a priori pour responsable, voire receleur, lors d’une affaire de contrefaçons. Cependant, il en sera autrement si ce constat se reproduit et ne soulève pas d’inquiétudes de sa part, sa responsabilité personnelle pourra être mise en cause face à son manque de discernement.Le procureur ou le juge d’instruction pourront le questionner à ce propos jusqu’à le placer en examen pour complicité s’il apparaît qu’il protégeait par son silence l’activité frauduleuse constatée ; l’acheteur et l’ayant droit pourront aussi se retourner contre lui en procédure civile en l’appelant dans la cause. L’activité d’expertise des objets d’art à la requête de particulier requiert donc une confidentialité mesurée dans certains cas, laissée à l’appréciation de l’expert en cas de découvertes de fraudes relevant du pénal. La découverte d’une contrefaçon isolée et ancienne ne rentre pas dans cette configuration bien évidemment. Pour simplifier, seules peuvent engager la responsabilité de l’expert, l’arnaque évidente récente et la production de masse de contrefaçons constatées.

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faux Kandinski et photomontage de faussaire

 Cette contrefaçon d’une œuvre de V. Kandinsky réalisée par un faussaire en mélangeant les sujets de deux tableaux authentiques, peut être aujourd’hui dévoilée, brisant le secret de l’expertise à titre privé aux motifs que son propriétaire, déjà connu des services de police pour la vente de contrefaçons de montres de luxe, est décédé. Il avait menacé de représailles l’expert lorsque ce dernier lui avait annoncé que l’œuvre était fausse et se servait de son rapport, tronqué, pour essayer de négocier son œuvre.

Comme c’est le cas avec tout bon faussaire, l’œuvre était accompagnée de documents falsifiés et de photographies retouchées, comme celle-ci où l’œuvre a été incluse dans le décor derrière ses ancêtres. La supercherie fut découverte en agrandissant la photographie, elle avait été prise dans un studio photographique; le décor étant peint sur une toile !

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2. Le secret dans l’expertise civile relevant de juridictions

L’expert d’art chargé d’une mission judiciaire par un magistrat dans le cadre d’une procédure civile (Tribunal d’instance, Tribunal de grande instance, Tribunal de commerce et Tribunal administratif) est tenu au secret de la procédure en cours, et ne peut divulguer des éléments de son expertise, ni son rapport, à un autre que le magistrat qui l’a nommé et des parties au procès. Les parties qui reçoivent le rapport ne sont pas tenues à la même obligation et, parfois, ne se gênent pas en le rendant public pour servir, si nécessaire, leur  intérêt.

Cette fragilité du secret partagé dans la procédure civile enjoint parfois une partie à ne pas vouloir dévoiler ses pièces à son adversaire, afin que des éléments probants (pour discerner par exemple les contrefaçons), ne soient pas connus ultérieurement par des faussaires. Cet exemple, qui rejoint les secrets de fabrication industrielle, se traite de la même façon par l’expert judiciaire.

Il peut examiner seul les pièces confidentielles fournies par une partie, et attester du résultat positif ou négatif par rapport à sa mission. Sans livrer le contenu des documents examinés, il certifie l’existence de preuves à charge comme à décharge.

Par exemple, des ayants droit d’un designer célèbre ayant fait saisir des meubles attribués par des marchands à leur ancêtre, proposèrent aux parties de prouver leur avis en laissant à l’expert judiciaire le soin d’examiner les carnets journaliers annotés de croquis sur lesquels ce créateur fécond couchait toutes ses idées.

Il n’était évidemment pas question pour le demandeur de livrer à la connaissance d’autrui les clés de l’œuvre de l’artiste. L’expert judiciaire examina donc seul, les recherches de 40 années. La pensée créative de l’artiste fut gardée secrète. L’expert missionné par une ordonnance judiciaire est alors pris entre la violation du secret et le respect du contradictoire. Lorsqu’une partie s’oppose à ce que la pièce qu’elle communique soit portée à la connaissance des autres parties (idem dans le secret de fabrication, affaires, etc.), il est préférable que l’expert de justice requiert auprès du juge l’autorisation d’accéder seul aux informations contenues dans la pièce.

Faux signés Sonia Delaunay« Composition 47-8 », acrylique sur toile et « rythmes colorés », peinture sur toile, deux faux d’après et signés Sonia Delaunay

 

3. Le secret dans l’expertise pénale

À mon avis, c’est le secret le plus contraignant, car l’expert est tenu d’une part au secret de l’instruction, et d’autre part au secret de son activité, jusqu’à ce que le jugement soit prononcé publiquement et qu’il n’y ait pas de pourvoi en appel.
Rappelons aussi que l’expert n’étant qu’un technicien au service du magistrat qui le missionne, il ne peut se transformer en justicier devant les fraudes connexes qu’il constate. Par exemple, lors d’une saisie chez un mis en examen, il arrive souvent que l’expert découvre d’autres infractions pénales (contrefaçons) commises par la personne visitée ou par des comparses. Il en réfère alors soit à l’OPJ qui l’accompagne, soit au procureur ou au juge d’instruction qui l’a missionné. Si l’OPJ ou le magistrat estiment que cette découverte ne rentre pas dans le sujet de la procédure ou qu’elle risque de freiner inutilement la procédure en cours, elle n’est pas prise en considération. Cette information utile pour l’histoire de l’art reste dans la mémoire de l’expert sans être divulguée aux historiens.

Dans le cas contraire, si l’expert a convaincu l’autorité judiciaire du bien-fondé de l’importance de ce constat, cette dernière engagera une procédure incidente et l’objet ou la preuve sera saisi puis fera l’objet d’une nouvelle procédure.

Cependant une procédure incidente est rarement diligentée, pour des raisons évidentes d’engorgement et de saturation des dossiers en instruction ou en préliminaire.
L’expert judiciaire se trouve au courant, preuves à l’appui, de l’existence de contrefaçons qui souvent atteignent des centaines de milliers d’euros, puisque les pièces authentiques à la traçabilité irréprochable dépassent le million d’euros lors de transactions (un Penseur en bronze de 71 cm de haut d’Auguste Rodin, authentique, fondu en de nombreux exemplaires par des contrefacteurs, a atteint 11 600 000,00 euros en salle des ventes à New-York au mois de mai dernier).
L’expert ne peut ni prévenir les intermédiaires (marchands,  commissaires-priseurs, experts en salle des ventes), ni les acheteurs. Il est tenu tenu de facto au secret et constate des ventes frauduleuses, impuissant pour avertir les intéressés.

Autre contrainte du secret de l’expertise judiciaire au pénal : lorsqu’un réseau de faussaires est appréhendé, le dossier d’instruction peut durer plusieurs années (jusqu’à 5 à 6 ans pour des dossiers ayant des ramifications à l’étranger. L’affaire n’est alors jugée qu’au bout de 7 à 8 ans en première instance). De surcroît, si les parties se pourvoient en appel, puis en cassation, il faudra attendre encore quelques années avant de connaître la vérité judiciaire et pouvoir la divulguer…

Le milieu qui a eu vent de cette procédure, a tout le temps d’écouler le surplus qui n’a pas été saisi. Impuissant, l’expert missionné ne peut que constater ces ventes frauduleuses sans en faire état publiquement.

Faux d'après Diego Giacometti 72“Table grecque” et “table berceau”, faux d’après Diego Giacometti

 

 

En conclusion

Le risque « qu’il y ait mort d’homme » ou atteinte aux bonnes mœurs est peu élevé dans les affaires de contrefaçons d’objets d’art. L’expert ne se trouve donc pas délié systématiquement de ses obligations de secret et confidentialité.

Ne pouvant intervenir volontairement pour la défense des biens d’autrui, ses actes se cantonnent au constat des faits et non à leur divulgation. Il supporte donc souvent seul le poids de la vérité.

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La Croix rouge à Fourqueux de GEN PAUL La croix rouge à Fourqueux, œuvre authentique de Gen Paul

L’affaire du contrefacteur de tableaux de maitres, Guy Ribes ayant été jugée au Tribunal de Grande Instance de Créteil en 2010, nous pouvons aujourd’hui dévoiler les œuvres frauduleuses ayant été saisies et placées dans la procédure judiciaire lors de l’instruction, dont cet échantillonnage. Il en reste cependant encore plusieurs centaines qui n’ont pas encore été appréhendées.

Faux d'après Fernand LégerD’après Fernand Léger

 

Faux d'après Lebasque et Bonnard Femme accoudée d’après Henri LebasqueFemme à l’éventail d’après Pierre Bonnard

 

Faux d'après VlaminckD’après Vlaminck

Picasso de Guy Ribes l
Dédicaces d’après Pablo Picasso

 

Faux d'après Marc Chagall (aff.Ribes)D’après Marc Chagall

 

Faux d'après FoujitaD’après Foujita

 

Faux-daprès-Salvador-Dali

  D’après Salvador Dali

 

Faux-daprès-Marquet

D’après Albert Marquet

 

Faux d'après MATISSE

 D’après Henri Matisse

 

  contrefaçon Guy Ribes meltEt bien d’autres contrefaçons d’artistes tels que Raoul Dufy, Marie Laurencin, Auguste Renoir, Kees Van Dongen, Francis Picabia, Juan Gris, Leonor Fini, Georges Braque et tant d’autres…