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La réglementation des bronzes d’art

La beauté suscite la convoitise et la cupidité. Les bronzes constituent un terrain de prédilection où il convient de savoir distinguer les œuvres originales, les faux ou encore les fontes frauduleuses.

La Revue Experts n° 16 – 09/1992 © Revue Experts

Les nombreuses affaires qui ont défrayé la chronique récemment concernant les faux bronzes d’art, nous conduisent de nouveau à traiter de ce sujet, afin que nos confrères ou lecteurs puissent faire la part des choses.
Les sculptures en bronze, fondues dans un moule au sable, ou à la cire perdue, sont facilement la proie des faussaires.
La classification des tirages en épreuves originales, de diffusion, d’artiste, anciennes ou récentes, numérotées ou non, signées, non signées, portant ou ne portant pas le cachet du fondeur, agrandies ou réduites, ne facilite pas la tâche de l’amateur qui s’égare dans ce labyrinthe verbal.
Dans ce domaine de la reproduction, plus qu’ailleurs, il faut savoir distinguer, et pour cela connaître parfaitement le vocabulaire approprié, les fontes originales d’époque (réalisées du vivant de l’artiste, sous son contrôle) des fontes originales réalisées après la mort de l’artiste par exemple.
Le label “fonte originale ancienne”, que l’on rencontre souvent dans les catalogues des salles des ventes, est trop vague car il n’indique pas la date de fabrication du bronze, et ne précise pas si l’artiste était vivant au moment de la fonte.
Cette précision est pourtant capitale car de nombreux sculpteurs travaillent en étroite collaboration avec le fondeur, retouchent leur œuvre, reprennent des détails, modifient des attitudes jusqu’au dernier moment dans la cire perdue, lors de la coulée du bronze. Ceci, bien entendu, est formellement interdit aux ayants droit.
Cet imbroglio profite évidemment à des vendeurs peu scrupuleux. Loin d’écarter les faussaires, le langage hermétique qu’il engendre favorise les abus de toutes sortes.

LA RÈGLEMENTATION

La réglementation des bronzes d’art s’appuie principalement :

1) sur le décret n° 81- 255 du 3 mars 1981 statuant sur la répression des fraudes en matière de transaction d’œuvres d’art et d’objets de collection ;

2) sur l’article 71- 3 de l’annexe III du Code Général des impôts.

Ces décrets clarifient et légalisent enfin la terminologie et les pratiques, même si elles ne sont pas encore toujours suivies à la lettre !…

Décret n° 81- 255 du 3 mars 1981
Le premier ministre décrète :

– Art. 1er : Les vendeurs habituels ou occasionnels d’œuvres d’art ou d’objets de collection ou leurs mandataires, ainsi que les officiers publics procédant à une vente publique aux enchères doivent, si l’acquéreur le demande, lui délivrer une facture, quittance, bordereau de vente ou extrait du procès- verbal de la vente publique contenant les spécifications qu’ils auront avancées quant à la nature, la composition, l’origine et l’ancienneté de la chose vendue.

– Art. 2 : La dénomination d’une œuvre ou d’un objet, lorsqu’elle est uniquement et immédiatement suivie de la référence à une période historique, un siècle ou une époque, garantit l’acheteur que cette œuvre ou objet a été effectivement produit au cours de la période de référence.

Lorsqu’une ou plusieurs parties de l’œuvre ou objet sont de fabrication postérieure, l’acquéreur doit en être informé.

– Art. 3 : A moins qu’elle ne soit accompagnée d’une réserve express sur l’authenticité, l’indication qu’une œuvre ou un objet porte la signature ou l’estampille d’un artiste entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur.

Le même effet s’attache à l’emploi du terme “par” ou “de” suivi de la désignation de l’auteur.

Il en va de même lorsque le nom de l’artiste est immédiatement suivi de la désignation ou du titre de l’œuvre.

– Art. 4 :
L’emploi du terme “attribué à” suivi d’un nom d’artiste garantit que l’œuvre ou l’objet a été exécuté pendant la période de production de l’artiste mentionné et que des présomptions sérieuses désignent celui- ci comme l’auteur vraisemblable.

– Art. 5 : L’emploi des termes “atelier de” suivis d’un nom d’artiste garantit que l’œuvre a été exécutée dans l’atelier du maître cité ou sous sa direction.
La mention d’un atelier est obligatoirement suivie d’une indication d’époque dans le cas d’un atelier familial ayant conservé le même nom sur plusieurs générations.

– Art. 6 : L’emploi des termes “école de” suivis d’un nom d’artiste entraîne la garantie que l’auteur de l’œuvre a été l’élève du maître cité et a notoirement subi son influence ou bénéficié de sa technique. Ces termes ne peuvent s’appliquer qu’à une œuvre exécutée du vivant de l’artiste ou dans un délai inférieur à cinquante ans après sa mort.

Lorsqu’il se réfère à un lieu précis, l’emploi du terme “école de” garantit que l’œuvre a été exécutée pendant la durée d’existence du mouvement artistique désigné, dont l’époque doit être précisée et par un artiste ayant Participé à ce mouvement.

– Art. 7 : Les expressions “dans le goût de” , “manière de” , “genre de”, “d’après” , “façon de” , ne confèrent aucune garantie particulière d’identité d’artiste, date de l’œuvre, ou d’école.

-Art. 8 : Tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d’une œuvre d’art ou d’un objet de collection doit être désigné comme tel.

– Art. 9 : Tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d’une œuvre d’art originale au sens de l’article 71 de l’annexe III du Code général des impôts, exécuté postérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret doit porter de manière visible et indélébile la mention “Reproduction” .

– Art. 10 : Quiconque aura contrevenu aux dispositions des articles 1er et 9 du présent décret sera passible des amendes prévues pour les contraventions de la cinquième classe.

– Art. 11 : Le garde des sceaux, ministre de la Justice, le ministre de l’agriculture et le ministre de la culture et de la communication sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal Officiel de la République française.
Fait à Paris, le 3 mars 1981 – Raymond Barre

Article 71- 3 annexe III Code général des impôts – Titre II – Chapitre 1.

– Ventes publiques d’œuvres d’art originales
Pour l’application des dispositions de l’article 261-1- 3°- a du code général des impôts, sont considérées comme œuvres d’art originales les réalisations ci-après :

3) à l’exclusion des articles de bijouteries, d’orfèvrerie et de joaillerie, productions en toutes matières de l’art statuaire ou de la sculpture et assemblages, dès lors que ces productions et assemblages sont exécutés entièrement de la main de l’artiste; fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit.

 

LE RÔLE DE L’EXPERT

Le travail de l’expert s’articule dans deux directions. La première est l’étude de l’objet pour identification, la seconde est son classement au sein de la législation.
Il existe, dans les bronzes, une multitude de faux plus ou moins appréciés des collectionneurs et répréhensibles par la loi.

• LES FONTES FRAUDULEUSES

Les fontes illicites sont des fontes non déclarées soit par le fondeur au Sculpteur ou aux ayants droit et par voie de conséquence aux services fiscaux, soit par le sculpteur ou les ayants droit aux services fiscaux. Ces fontes ne doivent donc pas être considérées comme des objets faux mais comme des fontes frauduleuses.
Prenons l’exemple d’un bronze fondu à la Renaissance, à l’insu de l’artiste, dans le moule original par le même fondeur.
L’œuvre est un bronze, a les mêmes qualités, la même patine, la même origine que les autres œuvres. Aujourd’hui, sa valeur commerciale sera identique aux autres œuvres légales de l’époque.
Prenons un deuxième exemple, le cas de Rodin qui avait la réputation de mal payer ses fondeurs. Ceux- ci se rattrapaient en fondant, à l’insu du Maître, des fontes de qualité, et les vendaient.
Qui songerait aujourd’hui à les détruire ? Et encore faudrait- il pouvoir détecter ces fontes illicites !…
L’obligation de la numérotation des tirages originaux et multiples depuis 1968 simplifie la tâche de l’expert qui, pour les fontes modernes, bénéficie de points de repère appréciés. Mais il doit tout de même enquêter sur les origines des œuvres pour discerner une fonte illicite d’une fonte légale.

Bronze représentant “L’enlèvement d’une Sabine”. Fonte actuelle. Détail.
Bronze représentant “L’enlèvement d’une Sabine”. Fonte actuelle. Détail.
Bronze représentant “L’enlèvement d’une Sabine”. Fonte actuelle. Envers.
Bronze représentant “L’enlèvement d’une Sabine”. Fonte actuelle. Envers.

 

 

 

 

 

 

 

LES FAUX

Il existe, au point de vue strictement technique, différents degrés dans les faux bronzes.
La fonte illicite réalisée dans le même moule, avec le même alliage et la même patine, par le même fondeur, est indétectable à l’œil.

• LES SURMOULAGES

Les fontes réalisées d’après un moule exécuté sur un bronze authentique peuvent être détectées par l’expert grâce à plusieurs indices

-les dimensions du faux sont légèrement plus petites que celles de l’original à cause du retrait du bronze lors du refroidissement ;
-les détails de surface sont amollis ;

-la composition de l’alliage diffère.

Si les deux premiers points peuvent donner lieu à des batailles d’experts, le troisième est formel car chaque fondeur, notamment de la fin du XIXe siècle à notre époque, utilise un alliage différent.
Bronze représentant “l’enlèvement d’une Sabine”. Jean de Bologne, XVIe siècle.

 

 

 

Détail.
Bronze représentant “L’enlèvement d’une Sabine”. Jean de Bologne, XVIe siècle.

 

Détail de la patine, vue d’ensemble.
Détail de la patine.

EN CONCLUSION

Les tirages originaux sont limités à huit exemplaires numérotés de 1 à 8, plus quatre “épreuves d’artiste ” numérotées de 1 à 4 en chiffres romains. Ces numérotations, exigées depuis le 1er janvier 1968 doivent toujours être bien visibles, et ne peuvent être inscrites à l’intérieur des socles.
Le législateur n’a pas encore réglementé les agrandissements ou les réductions des modèles de sorte que, le tirage original maximum atteint (8/8), l’artiste ou ses ayants droit peuvent recommencer une série de 8, 15 ou 50 exemplaires à une autre échelle. La coutume impose une variation minimum de plus ou moins 1/3 de la dimension d’origine, ce qui n’exclut pas que certains artistes et fondeurs peu scrupuleux réduisent les variations à 1,2 ou les augmentent jusqu’à 15 fois la dimension d’origine. Cette série porte l’appellation “œuvre d’art” en opposition aux “œuvres d’art originales” .
Les bronzes d’éditions ne sont généralement pas numérotés, et sont tirés en un très grand nombre d’exemplaires, de 100 à 1 000, ou plus dans certains cas.
L’expert doit apprécier la qualité de l’œuvre, originale, d’art ou de diffusion, en écartant les faux et les tirages illicites.
II doit, le cas échéant, identifier l’auteur, l’époque et le fondeur, et en fonction de la qualité de l’exécution et de la rareté de l’œuvre, lui attribuer une valeur.

Groupe en bronze signé Susini, daté 1627.
Groupe en bronze signé Susini, daté 1627.
Bronze de style florentin, début du XVI siècle, représentant David. Fdck collection, New-York.
Bronze de style florentin, début du XVI siècle, représentant David. Fdck collection, New-York.