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Appel à témoin pour une statuette attribuée à Rodin

Gilles Perrault attribue une statuette en argent anonyme

à Auguste Rodin circa 1886

Catherine Chevillot, Directrice du Musée Rodin et Gilles Perrault, Expert en art, agréé par la Cour de cassation – Conférence du mercredi 27 mars 2013 au Grand Palais, Rotonde Alexandre III à Paris

 

A l’issue de cette conférence, Catherine Chevillot, directrice du Musée Rodin et ayant-droit de l’artiste, reconnaît l’intérêt de l’expertise de Gilles Perrault, et n’exclut pas cette paternité mais en l’absence de documents historiques permettant d’authentifier son auteur, elle envisage aussi l’éventualité que ce soit le travail d’un disciple du maître.

Gilles Perrault avec le soutien du Musée Rodin, lance donc un appel à témoin afin de retracer la provenance de cette sculpture qui s’arrête aux Puces de Saint-Ouen il y a plus de vingt ans. Ils remercient conjointement toute personne dont le témoignage pourrait faire la lumière sur l’origine de cette œuvre de bien vouloir contacter le :

Cabinet d’expertises en objets d’art
Gilles Perrault
4 rue de la paix 75002 Paris
rodin@gillesperrault.com

 

 « Je possède un petit chef-d’œuvre qui longtemps dérouta toutes les habitudes de mes yeux et de mon esprit, toutes mes connaissances. Je lui ai voué une gratitude profonde car, il m’a fait beaucoup songer. Cette figure est de l’époque de la Vénus de Milo. Elle me donne la même sensation de modelé puissant et plein, elle a la même aisance dans la grandeur de ses formes, qui sont toutefois matériellement, de proportions réduites. (…) les belles ombres qui la caressent (…) font (…) saillir les seins, puis s’endormant sur le ventre large, modèlent vigoureusement les cuisses. L’un des bras, de côté et en retrait, est noyé dans un clair-obscur léger. Le geste de l’autre bras tend sur les cuisses la draperie pour amasser au bas du ventre l’ombre fervente ».

Auguste RODIN
L’Art et les Artistes, n°60 mars 1910.

DIALOGUE CRITIQUE AUTOUR D’UNE SCULPTURE INÉDITE

Extrait du début de la conférence présentée par Gilles Perrault
du mercredi 27 mars 2013 – Grand Palais, Rotonde Alexandre III, Paris.

 « M. le Premier Président de la Cour de cassation,
M. l’Avocat Général,
M. le Haut Conseiller,
M. le Premier Président de la Cour d’appel de Versailles,
Mme la Présidente du Tribunal de Grande Instance de Chartres,
Mesdames Messieurs les Premiers vice-présidents des Tribunaux de Grande Instance de Versailles, Pontoise, Nanterre et Paris.
Mesdames Messieurs les Présidents des Tribunaux de Commerce de Nanterre et Versailles,
Je suis très honoré de votre présence qui marque votre grand intérêt pour la culture.

Mme la Directrice du Musée Rodin,
Mesdames Messieurs les Conservateurs,
Je vous remercie d’avoir accepté de participer à cette conférence et vous propose comme convenu de démontrer la pertinence de mon expertise, puis de vous donner la parole pour respecter ce que nous appelons la contradiction.

Je vous rassure, il ne s’agit nullement d’une « conférence participative », à l’instar des procédures participatives destinées à désengorger les tribunaux. Nous œuvrons dans le même but : la recherche de la vérité.

Mesdames Messieurs les journalistes, experts, fondeurs et amateurs d’art vous pourrez à l’issue de nos propos, nous questionner si vous le désirez pendant une petite demi-heure.
Puis nous nous dirigerons à l’entrée des bateaux mouches pour ceux qui souhaitent voir et approcher l’œuvre en question.

L’objet de cette conférence à laquelle vous avez été conviée, n’est pas la simple démonstration d’une expertise privée, mais la découverte d’une oeuvre importante dans l’histoire de l’art. Il aura fallu plus de vingt ans de longues recherches, de fausses pistes, pour retrouver l’identité de cette œuvre. Les indices puis les preuves se sont assemblés au fil de ces années. Lorsque le puzzle stylistique fut complet, la motivation historique est apparue et le sujet devint clair. Reste la traçabilité de sa provenance qui se démêle lentement, tel un écheveau.

Tout commence comme dans un conte des temps modernes par l’achat d’une statue anonyme, au marché aux Puces de Saint-Ouen à Paris, au début des années 1990. Le découvreur est antiquaire à Nantes, fin connaisseur des sculptures de la renaissance au 18ème siècle.

Cette sculpture l’interpelle par son expression inclassable. Il l’achète puis la nettoie et découvre qu’elle est en argent.

Après quelques mois de recherches, il pense qu’il possède une œuvre de l’entourage d’Auguste Rodin.

Elle trouve rapidement un acquéreur qui tombe sous son emprise, et me charge de son expertise.

Statuette en argent, sans marque de fondeur, ni signature, ni poinçons.

Dimensions : 22,5 cm de hauteur + 4 cm de socle.

Attitude complexe, propre à mettre en évidence l’anatomie tout en participant à l’expression corporelle et symbolique.

Le jeu entre le bras tendu et l’autre plié, une jambe posée, l’autre fléchie, la tête tombant sur l’épaule, reflètent une grand audace esthétique.

J’étais à l’époque très proche des œuvres de Camille Claudel, travaillant pour ses héritiers, restaurant certains plâtres, terres cuites et même La Vague en bronze et onyx avant qu’elle soit acquise par le Musée Rodin. Accoutumé donc à l’œuvre de Camille, je fis d’emblée le rapprochement de cette sculpture avec un dessin de Camille Claudel, publié début 1886 dans le journal L’Art… »

 

Gilles Perrault – chercheurs-dart-a-paris-2013-04-03

 

La genèse

 

La statuette a été découverte circa 1990 par C. C., antiquaire à Nantes. Un marchand des Puces de Saint Ouen lui vendit alors comme du métal blanc patiné. C’est en la nettoyant qu’il découvrit qu’elle était en argent non poinçonnée, sans trace de signature, ni de fondeur.

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Piqué de curiosité, il entreprit quelques recherches iconographiques qui le menèrent vers la seconde moitié du XIXe siècle et plus particulièrement vers Auguste Rodin. Sans preuve concrète mais persuadé de son authenticité, il céda la statuette à un collectionneur.

 

Plus de vingt ans de recherche

Son nouveau propriétaire, lui-même convaincu de cette appartenance, fit appel à Gilles Perrault qui accepta l’expertise de cette statuette, sans savoir que cette mission lui prendrait plus de vingt ans de recherches.

Constatant que le modèle de la statuette en argent était le même que celui qui avait prêté sa plastique à l’Eve d’Auguste Rodin (1881) et à un dessin d’atelier de Camille Claudel publié dans L’Art de 1886, Gilles Perrault acquit dès lors la conviction que l’œuvre était d’Auguste Rodin ou de son proche entourage.

 

 

 

L’expérience et l’œil de l’expert au service de la vérité

 

Une dizaine d’expertises pénales qui totalisèrent douze ans d’investigation dans l’œuvre de Rodin -de l’examen comparatif des plâtres entreposés dans les réserves de Meudon aux bronzes exposés dans les musées- vinrent alors considérablement enrichir la connaissance de Gilles Perrault sur le maître.

En 1995, par exemple, il se voit confier une expertise pénale de plus de 2500 scellés concernant des modèles et bronzes d’une centaine de sculpteurs dont 240 exemplaires authentiques ou contrefaits d’Auguste Rodin et 4 de Camille Claudel.

En 2004, une nouvelle mission d’expertise judiciaire qui porte sur 51 modèles d’œuvres d’Auguste Rodin révèle encore de nouveaux éléments sur l’œuvre de ce dernier. Cette expertise consista à examiner chaque épreuve litigieuse pour ensuite comparer les résultats avec les mêmes éléments recueillis sur des œuvres originales, contrefaites et les maître modèles conservés par le musée Rodin (250 bronzes, plâtres, moules).

 

La clé de l’énigme ?

La vie et l’œuvre de Rodin tiennent du roman. Si l’œuvre du sculpteur n’avait pas été aussi expressif, il serait tombé dans l’oubli de l’ennui. Toute œuvre rapprochant Rodin de Camille devint, de fait, une légende à elle seule. Cette œuvre existe, elle est palpable, ce n’est pas une vue de l’esprit. Il suffit de l’examiner  pour comprendre le message qu’exprime son corps.

Durant vingt années, tout livre concernant Rodin ou Camille a nourri cette enquête. En 2007, à la lecture d’un nouvel ouvrage, la fameuse lettre de Rodin à Camille, appelée « le contrat » par les historiens, dévoile alors à Gilles Perrault son sens caché et la clé de l’énigme.

Dans cette lettre rédigée le 12 octobre 1886, Rodin promet tout à la jeune Camille de vingt-quatre ans sa cadette : le mariage, un voyage en Italie d’au moins six mois, une statue en cadeau, une installation commune, etc. Déjà, dans un précédent élan passionné, il lui écrit : « Je ne regrette rien. Ni le dénouement qui me paraît funèbre, ma vie sera tombée dans un gouffre ». Quelle raison poussa Rodin à écrire ce contrat dont il ne tint même pas une seule promesse ?

La vérité qui s’impose au regard des faits est tragique ; car nous savons, par le biais de son amie Jessie Lipscomb que Camille eut « quatre grossesses interrompues ou cachées », avec son mentor. Au crépuscule de sa vie, Rodin osera passer sous silence ces malheureuses grossesses qui rendirent Camille de plus en plus aigrie envers celui qui avait tout promis. Lorsque sa biographe Judith Cladel l’interrogea à ce sujet, il répondit « Dans ce cas, le devoir eut été trop clair », sans plus de précision.

Les historiens s’accordaient jusqu’en 2007 pour dater la première grossesse en 1887 lorsque Camille s’isola au château de l’Islette voisin d’Azay-le-Rideau. Mais ces étapes douloureuses furent si bien cachées par les amants que rien ne paraît dans leurs écrits. Le contrat d’octobre 1886 ne serait-il pas en étroite relation avec une grossesse déjà interrompue en Angleterre ? Camille y réside de mai à septembre.

Ce qui ne frappe aucun historien, jusqu’à présent, c’est que Rodin part également à Londres quelques jours en juin, et retrouve Camille chez les Lipscomb où il reste deux jours, à 150 km de la capitale.

Voyager était à cette époque une aventure qui se préparait à l’avance et requérait un certain pécule : difficile d’y voir le but de simples vacances d’un trimestre pour Camille. Un tel voyage eut un coût qu’elle n’aurait pu assurer. Il est plus que probable que Rodin en fut l’instigateur et le financier. À cette époque, Camille n’avait en tête que la sculpture et Rodin. Dans ce contexte, est-il si hasardeux de penser qu’un premier drame se situa en Angleterre à l’abri des médisances ? Seules deux amies anglaises qui l’accueillirent pendant son séjour furent ses confidentes. Afin de garder leur secret, Camille rappela à l’une d’entre elles dans un courrier de 1887, de prendre soin de brûler ses lettres.

On peut dès lors penser que la statuette en argent se présente comme une oeuvre expiatoire, autobiographique, qui reflète le très lourd secret entre les amants. Secret gardé à tout prix, car à l’époque jugé de crime et passible de l’exécution capitale.

Un premier constat est posé : la sculpture en argent revient sans cesse dans une partie des œuvres de 1880 à 1890. Elle est là, invisible mais omniprésente, tantôt dans le Contrapposto des Ombres ou d’Adam, tantôt dans les postures des mains du Baiser ou de l’Eternel printemps, tantôt dans la représentation des muscles, d’Eve notamment. Toutes les oeuvres créées par le maître après l’Age d’Airain jusqu’en 1890 possèdent une part de cette énigme. Lorsque par chance, le plâtre original de l’oeuvre examinée existe encore dans les réserves du musée Rodin, il confirme à chaque fois davantage l’importance de ce rapprochement.

 

Le cumul des preuves

Après avoir entrepris une large recherche iconographique, Gilles Perrault découvrit les dessins du maître datés de 1885 à 1887 reprenant pour certains d’entres eux exactement la même attitude et pour d’autres des éléments de l’œuvre étudiée.

 

Les croquis

Il faut noter qu’Auguste Rodin n’a quasiment jamais effectué de dessins préparatoires de ses sculptures avec ombres propres : il s’agit plutôt de croquis arrêtant une idée, un mouvement.

Lors de son voyage en Italie (en 1875), la découverte du contrapposto de Michel Ange à Florence fut la révélation qui marqua tout son œuvre. Les croquis de ses carnets révèlent que la posture de la statuette en argent l’intéressait tant, qu’il l’avait à plusieurs reprises reproduite pour la conserver. La leçon de Michel Ange s’ouvre alors : la forme est le reflet des sentiments et de la vérité intérieure. Fini l’académisme étudié au Louvre. Le corps ne sera plus que le miroir de l’âme. Rodin n’aura de cesse d’exprimer « le reploiement douloureux de l’être sur lui-même, l’énergie inquiète, la volonté d’agir sans espoir de succès », etc.

 

Les comparaisons stylistiques

Cette statuette offre un aspect ramassé sur elle-même comme c’est souvent le cas chez Rodin, du retour d’Italie jusqu’aux années 1890. Le dos est voûté, bombé de façon anormale et excessive. L’anatomie comporte une musculature souple et arrondie, authentique sans exagération. Son attitude est très proche de celle d’un des Bourgeois de Calais. Comme lui, le corps de l’œuvre étudiée est incliné en avant, appuyé sur la jambe gauche, avec la jambe droite très en retrait en arrière et légèrement fléchie, les bras pendant le long du corps.

Comme la tunique d’Eustache de Saint Pierre, le drap maintenu par la femme tombe à la verticale entre ses jambes avec de longs plis plats et serrés, se cassant à la base. Le drapé se fond dans l’entrejambe et le sol. On retrouve cette masse pyramidale sur le modèle de Balzac nu, Je suis belle, Petite faunesse, où une forme conique prolonge, ainsi, le sol jusqu’au personnage. En poursuivant l’observation de cette sculpture en argent au-delà de l’allure générale, les recherches stylistiques ont révélé quantité d’analogies avec les œuvres du Maître.

En 1993, cette sculpture avait été nommée « la pudeur ».

À la lumière des constatations et à l’observation moins hâtive de son expression et de ses traits, le thème paraît plus tragique : cette femme souffre. Une main cache son sexe, d’où pend un drap semblant indiquer la source de sa douleur, l’autre se retourne dans son dos, inutile et impuissante.

Camille relate dans ses écrits une œuvre de cette époque perdue, intitulée Le Péché, puis d’autres comme La faute et La confidence. Rodin créé Le Péché.

Cette thèse qui évidemment n’est pas à l’honneur de Rodin peut heurter son ayant droit moral. Mais, la statuette en argent née sous x, tombée dans l’oubli, est bien réelle. Délibérément orpheline, elle n’est ni signée, ni marquée par le fondeur. Aucun signe distinctif n’a été souhaité par l’artiste et le destinataire. Or, toutes les œuvres de cette époque aussi abouties et de surcroît réalisées en métal précieux, sont au moins signées du nom de leur auteur. A-t-elle seulement été un jour offerte ? Son anonymat de presque cent vingt ans a effacé son parcours, mais ni l’empreinte de la main qui l’a conçue, ni son message de douleur…